Ils ne vivent pas au ralenti, mais en retrait. Loin de ce qui blesse, paumés, en attente, ils voient les voiliers qui vont et viennent. Restants là, à imaginer comment échapper à ce qui brime, ce qui retient et kidnappe leurs vies. Ils canalisent alors leurs souffrances et les jettent à la marée, offrant leurs sentiments qui s'échouent dans les vagues, dans quelques jours, après avoir suivi le mouvement de l'eau, ils auront atteints leur repère : l'Ilot.
C'est un paysage obscure, hors du temps, où une mer saccagée vient jour après jour déverser machinalement son flot d'horreurs. Il vient s'abattre sur la rive pour dégorger son lot de chagrins, dégoûts, passions malsaines, jalousies, remords, amertumes, doutes. Le tout s'affronte dans un immense combat, tout y grouille, la poubelle de l'humanité, le lieu de rencontre des sentiments déchus. L'îlot services publiques qui débarrasse de la tristesse environnante.
Le monde s'en retrouve plus serein. Chaque jour une pluie offre des cartons jaunes à la The Eternal Sunshine Of The Spotless Mind : "Clementine Kruczynski has had Joel Barish erased from her memory. Please never mention their relationship to her again. Thank You. " Ce serait une autre forme de tristesse. Certes, tout est impossible dans ces descriptions.
" Oh ! Oui ! le Temps a reparu; le Temps règne en souverain maintenant; et avec le hideux vieillard est revenu tout son démoniaque cortège de Souvenirs, de Regrets, de Spasmes, de Peurs,d'Angoisses, de Cauchemars, de Colères et de Névroses. Je vous assure que les secondes maintenant sont fortement et solennellement accentuées, et chacune, en jaillissant de la pendule dit: _ "Je suis la Vie, l'insupportable, l'implacable Vie!"
Il n'y a qu'une seconde dans la vie humaine qui ait mission d'annoncer une bonne nouvelle, la bonne nouvelle qui cause à chacun une inexplicable peur.
Oui! le Temps règne; il a repris sa brutale dictature. Et il me pousse, comme si j'étais un bœuf, avec son double aiguillon. _ " Et hue donc! bourrique!Sue donc, esclave! Vis donc, damné!" "
Charles Baudelaire, La chambre double, le Spleen de Paris